Livre des présence - 1

Publié le par Gévaudan

Destin de l’ours

 

Notre vie est penchée ainsi que des fumées

nos gestes de sonneur n'énervent pas le ciel

Tels des bouquets noyés nos cerfs-volants dérivent

et le monde paraît les suivre.

Georges Limbour, Soleil bas.

 

I

 

   La forêt languit, où l'ours griffe le feuillage rouillé des coudriers.

   Un éboulis roule dans la nuit, sous la pluie, et l'été meurt par les laies engourdies.

   S'accrochent, aux adrets déserts, les feux provisoires. Se mirent les peines dans l'aimant des miroirs, et la face obsédante de la lune énerve la solitude aux doigts hirsutes. S'oublient les cals des foins, la soif et la sueur, le sel du soleil. Filent les fumées à l'horizon du soir.

 

   Me possède la spirale de l'autour.

 

 

 

II

 

   Je poursuis mes chiens, cernant le troupeau, et l'ortie dans le lait blanchit le matin lent sur la neige. Le gel fend le miel. L'ours traque l'été dans la vallée.

   Les marches, l'ardoise et les toits sonnent. D'en haut, sont descendues les bêtes mi-nuit mi-soleil, les yeux sans écho. 

 

 

III

 

   Un seul arbre emboise la forêt, germe fragile de l’œil dans la splendeur de l'air. Que sont devenues les ombres qui se succédaient sur le zinc du ciel brûlant où cuisait le soleil ?

   Taches des ruines, débris des sources.

   Les nuages font des torsades. La lumière s'entasse au creux des cols. 

 

 

 

IV

   Le jour va au pas du troupeau, brebis de misère qui suivent ce que suit mon destin.

 

   Dessus les éboulis, derrière le chien bavard, je descendais sur le retour de l'ours d'une visite aux cayolars. Je descendais des cols, tout neigeux et le visage flou, jusqu'aux bois de hêtres et d'ormes glabres. 

 

 

V

   Pieds de terre sur le chemin, mains de grains dans les blés, sexes de nuages derrière les meules : ô temps séchés des générations petites, guerre menaçante de tout cerveau ; les voix ailées, aigres sur les cimes, tous les combats nous touchent.

   Je presse mon pas comme une meute, chiens des distances, dans la vallée aux bruits étroits. Blanche est l'aube après les récoltes, végétations migratrices. Et, dans le sérail des ombres, je revêts la crue emmêlée des ruisseaux, le lac et les étoiles.

 

   J'ouvre mes yeux, gardiens des nuits.

 

 

 

                          Lescun, vallée d'Aspe, octobre 1975

Publié dans La Luminade

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